Vingt-cinq ans de solitude by John Meade Haines

Auteur:John Meade Haines [Haines, John Meade]
La langue: fra
Format: epub
Tags: récit autobiographique
ISBN: 9782351780015
Google: 9YETPQAACAAJ
Amazon: 2351780019
Éditeur: Gallmeister
Publié: 2006-01-14T23:00:00+00:00

Printemps

Le soleil réchauffe mon terrain par cet après-midi de printemps. C’est le premier jour où il brille sans un souffle de vent. Juché sur mon chevalet de sciage, je reste les bras ballants. Je contemple la Tanana, le sol, je regarde au loin, je pense un peu. Mon esprit s’endort, puis s’éveille. Je songe qu’il est vraiment bon d’éprouver le soleil sur ma nuque et mes épaules. Adieu, givre et ténèbres, adieu la longue nuit. J’ai vu un soleil si faible que c’était à peine s’il illuminait une montagne au sud : sa lumière épuisée, sans chaleur, jetait de longues ombres bleues sur la neige. Et puis, lentement, les jours se sont faits plus longs et plus vifs.

Le soleil est revenu. C’était un bon hiver, somme toute, sans trop de neige après une première chute bien épaisse en octobre. Un hiver chaleureux. En janvier, la température est tombée pendant quelques jours à moins trente-sept, moins quarante. Sur quoi le vent a soufflé en force, une puissante rafale venue balayer les collines, secouer les bouleaux et dissiper ce froid perçant. À présent nous sommes en avril, l’eau de fonte tombe et suinte de la moindre corniche, du moindre talus, et creuse de grandes flaques devant la maison.

Les mouches bourdonnent tout autour de moi, d’un vert luisant sous le soleil. Elles se posent sur le tas de bois et sur la cloison de la maison à proximité, car la chaleur les y attire. Si une ombre les recouvre momentanément, elles sortent de l’ombre pour retrouver le jour. Ces mouches se sont réveillées de bonne heure au printemps, prisonnières qu’elles étaient entre les vitres de la double fenêtre, pestant et bourdonnant en attendant de mourir ou de se rendormir. Un peu de soleil, un peu de chaleur a fini par traverser les murs et elles reviennent à la vie. Après le long silence de l’hiver, elles sont les bienvenues.

J’observe une fourmi charpentière en train de ramper sur une bûche qui se trouve à mes pieds. C’est de l’épicéa, issu d’une vieille souche en amont de la rivière. La fourmi a passé là tout l’hiver, blottie dans les petits trous qui criblent le bois. Et la voilà qui sort dans ce lieu étranger et inattendu, brûlant, traversé d’ombres. Son squelette noir chatoie à la lumière. Elle cherche son chemin à tâtons.

Sous mes pieds, la neige humide et la poussière de bois. Poussière tombée de ma scie tout l’hiver, répandue sous le chevalet où elle se mêle à la neige. Maintenant la neige fond et la sciure s’entasse en un monticule détrempé. Si je le repousse du pied, je le vois noircir à mesure qu’il approche du sol. Peu à peu, il se fait terre lui aussi.

Une odeur d’ammoniaque forte et âpre s’élève de la berge basse où mes chiens sont enchaînés à leur chenil. La terre est encore trop humide pour eux : ils s’allongent sur le toit de leur abri, les yeux mi-clos, dormant au soleil. Eux aussi apprécient cette chaleur paisible.

Tout autour de moi, je vois les débris de l’hiver que la neige a longtemps dissimulés.

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